L'utilisation d'antigènes pour maitriser de la reproduction est connue sous le nom d'immuno-contraception ou de contrôle immunologique de la fertilité. Un certain nombre d'antigènes a été employé par le passé avec divers degrés de réussite. Les antigènes les plus communément utilisés pour le contrôle de la fertilité des femelles sont les protéines de zone pellucide porcine (ZPP). L'efficacité des protéines de ZPP a effectivement été prouvée pour l'immuno-contraception des chevaux 3,6,9 et un large panel d'herbivores en captivité et in situ4,5,7,8. Parmi ces espèces, le vaccin a révélé son inocuité et, lorsqu’elle a pu être évaluée, sa reversibilité. D'autres méthodes ont cherché à utiliser des antigènes spermatiques pour contrôler la fertilité mâle et femelle, mais les résultats ont été décevants, en particulier en ce qui concerne la femelle. Une troisième approche est l’utilisation d’ hormones comme antigènes. Une hormone (GnRH) en particulier a été utilisée avec succès en tant que vaccin pour le contrôle de la reproduction des animaux domestiques.
Le présent article relate un projet qui fut mené en trois phases afin d'enquêter sur l'utilisation du vaccin ZPP pour la contraception de quelques éléphants dans le Parc National Kruger et, après ce travail initial, un certain nombre de projets dans des réserves sauvages privées. Pour comprendre comment le vaccin ZPP fonctionne en tant contraceptif, nous devons examiner le processus de fécondation de l’ovocyte parun spermatozoide. Ceci est expliqué dans l'Image 1 (A-C). Le blocage de tous les récepteurs membranaires à spermatozoide n’aura lieu que si la concentration d'anticorps est suffisamment élevée ; si la concentration devait chuter sous un titre critique, ce qui arrive avec le temps, la femelle serait à nouveau fertile. Le vaccin cible uniquement la zone pellucide chez la femelle et n'a pas d'effet direct sur son comportement. Comme il n’y a pas de gestation, la femelle continue à présenter un cycle oestral qui dure environ 15 à 17 semaines. Cela signifie qu’elle aura des chaleurs 2 à 3 fois par an.
Image 1 :
A - Lorsque l’ovocyte est ovulé dans la trompe de Fallope, il est entouré d'une couche capsulaire connue sous le nom de de zone pellucide.
B - Avant que la fécondation ne puisse se faire, le spermatozoide se lie à l'un des milliers de récepteurs sur l’une des protéines « ZP ». Il subit ensuite la réaction dite acrosomique*.
C - Une fois seulement que le spermatozoide a subi la réaction acrosomique, il peut traverser la zone pellucide, et ensuite féconder l’ovule.
D - Les anticorps formés en réponse au vaccin ZPP reconnaissent et couvrent tous les récepteurs à spermatozoïde sur l’ovocyte ovulé de l'éléphant. La liaison avec le spermatozoïde est bloquée ainsi que la fécondation et donc la gestation.
Parc Kruger : Phase 1
Cette phase a été conçue pour établir l'homologie (caractères semblables observés chez deux espèces différentes ayant été hérités d'un ancêtre commun) entre les protéines de zone pellucide des éléphants d'Afrique et celles des porcs. En 1995, pendant le dernier massacre qui a eu lieu dans Parc National Kruger, des ovaires de plusieurs femelles éléphant ont été prélevés. Après fixation, les blocs de tissus ovariens ont été inclus dans la paraffine et découpés. Les lames ont alors été traitées par immunohistochimie. Ils ont d'abord été traités avec des anticorps anti-ZPP de lapin (anticorps primaire) suivi de l'anticorps secondaire marqué avec de l'or colloïdal et amplifiés à l'argent. L'examen histologique de ces lames a montré une nette fixation en or de la zone pellucide des oocytes dans les follicules primaires, secondaires et tertiaires. Les résultats ont été confirmés dans les échantillons examinés en microscopie éléctronique. Ceci prouve la présence d’épitopes communs entre les protéines de ZP des deux espèces et suggère que les anticorps anti-ZPP devraient reconnaitre des protéines de la zone pellucide de l’éléphant (Fayrer-Hosken et autres, 2000).
Parc Kruger : Phase 2
La phase 2 a été conçue pour établir un protocole de vaccination de ZPP pour les éléphants africains. Deux femelles éléphant (toutes les deux en parc zoologique aux Etats-Unis) ont été vaccinées avec 400 µg de ZPP et 5mg d'adjuvant synthétique de dicorynnomycolate trehalose. Des rappels (400 ou 600 µg) ont été administrés au bout de respectivement 4 semaines et 10 mois. Les titrages en anticorps réalisés après le deuxième rappel chez ces femelles ont été comparables à celles de juments qui avaient eu une contraception réussie grâce au vaccin de ZPP (Fayrer-Hosken et autres, 2000).
Parc Kruger : Phase 3
L'objectif de la phase 3 était d'examiner l'efficacité contraceptive du vaccin de ZPP sur un échantillon d'éléphantes en liberté dans le Parc national Kruger. En 1996, 41 femelles (21 traitements et 20 témoins) ont été choisies pour le premier test. Les critères de sélection étaient un petit éléphanteau (moins d’1 m de haut) et un résultat négatif de gestation par examen echographique endo-rectal. Le groupe en traitement a été vacciné avec 600 µg de ZPP et le même adjuvant que décrit ci-dessus. Le groupetémoin a reçu des injections de placebo. Toutes les femelles traitées avaient des colliers émetteurs. Six semaines plus tard, elles ont été repérées et des flèches contenant un rappel leur ont été injectées depuis un hélicoptère. Le procédé a été répété 6 mois après la première vaccination.
Douze mois après la vaccination primaire, 19 animaux traités et 18 témoins ont été localisés, immobilisés et examinés quant à une gestation éventuelle. Une femelle dans le groupe de traitement a été exclue car les résultats ont prouvé qu'elle était déjà fécondée au moment de la vaccination primaire. Sur le reste du groupe de traitement, 8 (44 %) étaient fécondées contre 16 (89 %) dans les témoins. Bien que la différence ait été significative, les résultats étaient décevants comparés à ceux obtenus chez les chevaux en liberté. Un deuxième test avec 10 femelles vaccinées a été ainsi projeté. Cette fois, les intervalles de vaccination entre la primo vaccination et lepremier rappel ainsi qu’entre les premiers et deuxièmes rappels étaient respectivement de 2 et 4 semaines. Les résultats ont montré une amélioration significative avec seulement 2 femelles (20 %) fécondées. Les tests ont également prouvé l’inocuité du vaccin chez les femelles déjà gestantes, que la contraception peut être maintenue par l'administration d'un rappel annuel et que, si un rappel n'est pas utilisé, les femelles sont de nouveau cyclées. Ce sont des qualités importantes dans le choix d’une méthode contraceptive pour les espèces de la faune sauvage.
* L’acrosome est une membrane qui enveloppe le noyau du spermatozoïde. L’acrosome est très riche en enzymes, et a comme fonction de fusionner à la membrane cellulaire de l'ovule pour ensuite s'ouvrir et insérer le bagage génétique du spermatozoïde (source : Wikipédia)
Réserves privées
Depuis le projet du Parc Kruger, nous avons utilisé le vaccin anti-ZPP sur des éléphants dans des réserves privées. Le protocole de vaccination a changé : nous utilisons maintenant de l’adjuvant de Freund modifié pour la vaccination primaire et de l’ adjuvant de Freund incomplet pour le rappel. Cela a résulté en une efficacité de 100 % chez les femelles qui ont dépassé la période critique entre deux mises bas depuis que la vaccination a été introduite pour la première fois. Les réserves, le nombre de femelles et l’année durant laquelle la vaccination a été mise en œuvre sont Makalali (n = 23; 2000), Mabula (n = 4; 2002), Shambala (n = 4; 2004), Phinda (n = 19; 2004) et Thaba Tholo (n = 8; 2004). Le vaccin utilisé en 2003 et 2004 a été produit par notre laboratoire où nous fabriquons environ 1 500 doses par an. Le nombre de doses peut être augmenté si nécessaire à environ 10 000/an ou plus.
Makalali est la seule réserve privée où le projet est en place depuis suffisamment longtemps pour fournir des informations sur l’efficacité du vaccin et des effets possibles sur le comportement. Vingt-trois femelles ont été vaccinées. Le protocole employé pour la plupart des femelles a été une première vaccination suivie par deux rappels à des intervalles de 3-4 semaines pendant la première année. Un seul rappel annuel pour chaque femelle a suivi. Les télé-injections ont été faites à partir du sol durant les deux premières années de vaccination mais en 2003-2004, 17 puis 21 femelles ont été flechées depuis un hélicoptère. A aucun moment il n’a été nécessaire d’anesthesier les animaux pour effectuer les vaccinations. Au total, le temps pris pour une vaccination par hélicoptère a été d’environ 30 min. et les troupeaux se sont calmés beaucoup plus vite (1-2 jours) si le tir a lieu depuis le sol. Le taux de réussite a été encourageant,. Dix femelles ont dépassé la période de 53 mois entre deux mises bas observées dans la réserve sans aucune mise bas prématurée, ce qui indique un contrôle de la reproduction de 100 % pour le moment.
Les éléphants à Makalali ont été contrôlés de façon intensive presque quotidiennement. A ce jour, aucune anomalie en termes de comportement agressif ou indifférent par rapport à la période d’allaitement, à l’allaitement lui-même et à la proximité des éléphanteaux n’a été rapportée. Aucun changement dans la hiérarchie sociale des femelles n’a été noté. Depuis janvier 2003, un total de 15 oestrus a été observé chez 10 femelles (9 en 2003 et 6 en 2004) avec quatre épisodes d’accouplement. Pendant la même période, trente huit episodes de musth ont été observés chez 5 mâles (26 en 2003 et 12 en 2004).Ces episodes incluent un musth exprimé par un même mâle durant plusieurs jours consécutifs, our durant le même cycle de musth. . La plus grande fréquence de musth a été enregistrée chez le plus grand mâle, dominant. On n’a pas observé de mâles harcelant ou séparant les femelles des troupeaux ou des éléphanteaux du fait d’une fréquence oestrale accrue. Par conséquent le programme Makalali démontre que le vaccin ZPP ne provoque pas de fragmentation de troupeau, de harcèlement par les mâles, de changement dans la hiérarchie sociale et d’autres comportements négatifs habituellement associés aux contraceptifs hormonaux.
L’année prochaine nous traiterons les premières femelles éléphant avec un vaccin à une seule injection. Cela signifie que le protocole de vaccination pour la première année peut être réduit à un seul fléchage. Cela fera une grande différence quant au coût de la contraception et permettra de traiter de beaucoup plus grandes populations d’éléphants. Même sans le vaccin à une seule injection, il est possible d’appliquer la contraception à de grandes populations.
En conclusion nous pensons qu’il est important d’insister sur les points suivants :
Le vaccin ZPP peut être utilisé avec succès pour la contraception des éléphants d’Afrique.
Le vaccin est sûr durant une gestation et n’a aucun effet négatif sur la naissance ou l’élevage des éléphanteaux
Il n’a aucun effet secondaire autre que des abcès occasionnels à l’endroit de l’injection
Il est réversible.
Mise à part une plus grande incidence du nombre de chaleurs, aucun effet secondaire comportemental n’a été observé
L’administration du vaccin est effectuée par télé-injection et ne nécessite aucune anesthesie
NB : Le coût pour une réserve privée qui couvre tous les frais est de R 800 à 900 (environ 70 euros) par femelle pour une seule vaccination.
TEO France remercie les vétérinaires du zoo de Vincennes pour l'aide apportée à la traduction du document.
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